dimanche 30 novembre 2008

Citation


" Le philosophe a régné sur le monde antique. Le savant règne provisoirement sur le monde d"aujourd'hui . Tout laisse à penser que c'est l'artiste qui régnera sur le monde de demain ."
Georges Mathieu


CARMENSEITAS

CARMENSEITAS

Création Nov 2008

 Du choeur des cigarières au coeur de Carmen

Paroles, histoires de femmes ouvrières

Spectacle théâtral et musical.

Hommage aux "Carmen"





Aujourd’hui, j’ai estimé utile et agréable de partager avec vous cette page de mon blog, consacrée à la pièce de théâtre « Carmenseitas » de Edmonde FRANCHI et mise en scène par Agnès REGOLO.
J’ai eu la chance et le privilège d’assister à une représentation, donnée à Marseille le 08.11.2008 au Théâtre Toursky…



Un bel hommage à toutes les « Carmen » très différentes de la « Carmen » de Mérimée ou celle adaptée par Bizet..
Plutôt il s’agit des vraies « Carmen » qui roulaient le tabac pour donner du plaisir aux consommateurs, et paradoxalement, se faisaient rouler quand elles revendiquaient leurs droits …

Oui, j’ai éclaté de rire à plusieurs reprises, mais aussi, j’ai eu une lourde peine en réalisant le nombre de femmes qui ont souffert, qui ont sacrifié leur jeunesse, leur santé et même leur vie, pour subvenir aux besoins de leurs familles…
J’ai aussi été emportée par le talent des quatre comédiennes , plutôt les « Carmen » de la culture, la performance du chœur, et la magie de la mise en scène.


Merci, à l’art d’exister et merci aux artistes et techniciens qui le portent dans leurs tripes !

Nadjet

NB : désolée pour la qualité des photos, je ne suis pas très douée dans ce domaine, en plus l’émotion du spectacle m’a fait oublier de faire le point à chaque photo…

Note de l’Auteur :


Marseille était une implantation importante de la seita, sur la belle de mai a flotté durant des années l’odeur du tabac, comme l’entrée Nord de Marseille était marquée par l’odeur du savon, celle de la belle de mai c’était le tabac.
Mais la seita ce n’était pas que l’odeur, c’était des centaines d’ouvrières travaillant à cet endroit, c’était un quartier animé par ces ouvrières et ouvriers, des enfants allant à l’école de la belle de mai, un marché, un pouvoir économique, des vies rythmées par la seita,.
Un jour la seita a fermé, plus d’odeur de tabac, plus d’ouvrières.

La Friche s’est implantée, une friche culturelle. Mais que sont devenues toutes celles qui travaillaient là ? Que reste-t-il de leur travail ? Des années passées là ?

 

 A travers CARMEN, on peut se demander ce qu’il reste de la mémoire ouvrière féminine .Car si certains auteurs tentent de maintenir la mémoire ouvrière vivante, c’est souvent le travail des hommes, comme pour les mines de Gardanne.

Mais les femmes aussi travaillent. Que sont-elles devenues ? Que peuvent-elles nous dire de ce passé si récent et qui est parti en fumée comme l’odeur des cigarettes ?
Ne sont-elles plus qu’un élément  de décor pour un spectacle, comme CARMEN ? Leur travail n’est-il plus qu’une simple toile de fond pour opéra que l’on dit populaire ? Mais le travail n’est-il pas hautement populaire ?

*CARMEN SEITA permet de mettre à jour de nombreuses questions au delà du spectacle, de la musique, du théâtre. Il interroge la vie économique, les facteurs humains, sociologiques :

*qu’est devenu un quartier comme la belle de mai privé d’un moteur économique important,

*quelle transformation a provoqué le départ de tous ces ouvriers et en particulier des femmes ?

*Comment vivaient elles dans ce quartier, leurs enfants allaient ils à l’école de la belle de mai ? Quelle vie de femme avait elle, quel rythme, où sont-elles ? *qu’ont- elles à nous dire de ce passé laborieux ?

Cependant dans CARMEN SEITA  l’accent sera mis sur l’aspect culturel dans sa dimension étendue : culturel ne se rapportant pas uniquement à la culture comme étant l’ensemble du monde culturel, mais la culture, celle de chacun, la culture ouvrière

Edmonde FRANCHI

Note du Metteur en scène


Edmonde FRANCHI, avec l’écriture de CARMENSEITAS nous fait glisser dans la peau de femmes dont une grande partie de leur vie s’est passée dans le ventre de la Manufacture des Tabacs de La Belle de Mai.
Son texte raconte avec un mélange de délicatesse et de vigueur l’événementiel et le quotidien, ce qui pèse, ce qui soulage, la lassitude, les collègues de travail, la vie syndicale, les débuts, l’évolution et la disparition d’un monde.
La mémoire est un  processus cocasse, le spectacle CARMENSEITAS devrait l’être. Aussi fragmentaire, pluriel, composite.

CARMENSEITAS est un spectacle qui proposera sur un même plan textes et chants, monologues et dialogues, personnages et allégories, dans une association que nous souhaitons libre et facétieuse.
Le travail de la mise en scène consistera essentiellement à articuler et à accorder, avec souplesse, l’ensemble de ces paramètres.

Situé ni dans le souci de la reconstitution, ni de l’hommage, le désir qui traverse cette aventure est moins solennel et a à voir plus avec la chaleur d’un héritage, d’une façon d’y puiser une force qui, parfois nous manque.

Agnès Régolo

L ‘EQUIPE


Auteur : Edmonde FRANCHI

Metteur en scène :  Agnès REGOLO

Arrangement musical, Direction Chant : Alain AUBIN

Comédienne et chanteuses : Catherine Lecoq,  Hélène FORCE, Edmonde Franchi, Tania Sourseva,

Chœur des habitants

Scénographe  : Eric Priano

Costumes : Virginie Breger

Lumière : Richard Pstourseff

Son : Frederic peau


Exposition




samedi 1 novembre 2008

l'Algérie heureuse

Neiges dans le Djurdjura
Pièges d'alouette à Tikjda
Des olivettes aux Ouadhias
On me fouette à Azazga
Un chevreau court sur la Hodna
Des chevaux fuient de Mechria
Un chameau rêve à Ghardaia
Et mes sanglots à Djémila
Le grillon chante à Mansourah
Un faucon vole sur Mascara
Tisons ardents à Bou-Hanifia
Pas de pardon aux Kelaa
Des sycomores à Tipaza
Une hyène sort à Mazouna
Le bourreau dort à Miliana
Bientôt ma mort à Zémoura
Une brebis à Nédroma
Et un ami tout près d'Oudja
Des cris de nuit à Maghnia
Mon agonie à Saida
La corde au cou à Frenda
Sur les genoux à Oued-Fodda
Dans les cailloux de Djelfa
La proie des loups à M'sila
Beauté des jasmins à Koléa
Roses de jardins de Blida
Sur le chemin de Mouzaia
Je meurs de faim à Médea
Un ruisseau sec à Chellala
Sombre fléau à Medjana
Une gorgée d'eau à Bou-Saada
Et mon tombeau au Sahara
Puis c'est l'alarme à Tébessa
Les yeux sans larmes à Mila
Quel Vacarme à Ain-Sefra
On prend les armes à Guelma
L'éclat du jour à Khenchla
Un attentat à Biskra
Des soldats aux Nementcha
Dernier combat à Batna
Neiges dans le Djurdjura
Piéges d'alouette à Tikjda
Des olivettes aux Ouadhias
Un air de fête au coeur d'El Djazira
Assia Djabar
Née le 30 juin 1936 à Cherchell (Algérie). Ancienne élève de l'École normale supérieure de Sèvres (1955). Elle écrit son premier roman La Soif en 1957, suivi de son deuxième roman en 1958, Les Impatients. Études d'histoire (Moyen Âge arabe et Maghreb du XIXe siècle) sous la direction de Louis Massignon et Jacques Berque. Professeur d’histoire moderne et contemporaine du Maghreb à la Faculté des lettres de Rabat, de 1959 à 1962. Au printemps 1962, sort à Paris son troisième roman Les Enfants du nouveau monde. Professeur d'université à la faculté d'Alger : d'histoire de 1962 à 1965, de littérature française et de cinéma de 1974 à 1980. En 1974, de retour à Alger, elle enseigne les études francophones. Parallèlement, elle commence la préparation d’un long métrage semi-documentaire, après des séjours dans la tribu maternelle des Berkani. Elle y interroge la mémoire des paysannes sur la guerre, y intègre des épisodes dans La Nouba des Femmes du Mont Chenoua, long-métrage de deux heures, produit en arabe et en français par la télévision algérienne, sur une musique de Béla Bartok. Ce long-métrage suscite des débats contradictoires dans les milieux algériens. Il sera présenté à Carthage en 1978, puis à la Biennale de Venise, en 1979 où il obtient le Prix de la Critique internationale. Il est actuellement étudié dans la plupart des universités américaines. Elle continuera son travail de cinéma avec un long métrage documentaire La Zerda et les Chants de l’oubli présenté en 1982, par la télévision algérienne et primé au Festival de Berlin, comme « meilleur film historique » en janvier 1983. Ne pouvant travailler à la fois, comme romancière francophone dans son pays tout en poursuivant une œuvre de cinéaste dans sa langue maternelle, elle choisit définitivement de retourner vivre à Paris, en 1980. De 1980 à 2005, sa vie, en banlieue parisienne, puis à Paris, est consacrée presque exclusivement à son travail d’écriture française : romans, essais, théâtre, travail critique. De 1983 à 1989, elle est choisie par Monsieur Bérégovoy, ministre des affaires sociales, comme représentante de l’émigration algérienne pour siéger au Conseil d’administration du FAS (Fonds d’action sociale). Elle publie dès lors régulièrement aux éditions Albin Michel, aux éditions Actes Sud. Après la publication de son roman L’Amour, la Fantasia, elle fait régulièrement des tournées de lecture de ses textes en Allemagne, en Italie et des conférences dans les universités anglaises et américaines. En 1995, elle accepte de partir travailler en Louisiane, comme professeur titulaire à Louisiana State University de Bâton Rouge où elle dirige également un Centre d’études françaises et francophones de Louisiane. En 2001, elle quitte la Louisiane pour être à New York University professeur titulaire. En 2002, elle est nommée Silver Chair Professor. Auparavant, tout l’été 2000, à Rome, dans une production du Teatro di Roma, elle met en scène un drame musical en cinq actes : Filles d’Ismaël dans le vent et la tempête dont elle est l’auteur. Elle écrit Aicha et les femmes de Médine, drame musical en 3 actes, que lui a commandé un théâtre de Rotterdam, la même année. Prix littéraires : - Prix Liberatur de Francfort, 1989 - Prix Maurice Maeterlinck, 1995, Bruxelles - International Literary Neustadt Prize, 1996 (États-Unis) - Prix Marguerite Yourcenar, 1997 (Boston États-Unis) - Prix international de Palmi (Italie) - Prix de la paix des Éditeurs allemands (Francfort) en 2000 - Prix international Pablo Neruda, 2005 (Italie) - Prix international Grinzane Cavour pour la lecture, 2006 (Turin, Italie). Docteur honoris causa des universités de Vienne (Autriche), de Concordia (Montréal), d’Osnabrück (Allemagne). Son œuvre littéraire est traduite en vingt trois langues. Une vingtaine d’ouvrages étudient son œuvre : en français, en anglais, en allemand et en italien. Un colloque international lui a été consacré en novembre 2003, à la Maison de écrivains, à Paris (actes publiés en 2005). Un autre est prévu à Cerisy en 2008. Élue à l'Académie française, le 16 juin 2005, au fauteuil de M. Georges Vedel (5e fauteuil).2007 et 2008, Assia Djebar comptait parmi les auteurs pressentis pour le prix Nobel de Littérature .

Gloire à nos martyrs !

Hassiba Ben Bouali
Née le 18 janvier 1938 à El-Asnam (aujourd'hui Chlef), Hassiba Ben Bouali y entama ses études primaires, qu'elle poursuivit à l'école Aïn Zerga, à Alger, où ses parents s'étaient installés en 1947. Elle obtient le certificat d'études primaires en 1950 et entre au lycée Pasteur (aujourd'hui annexe de la Faculté Centrale), où elle y étudia jusqu'en deuxième année.
De nombreux témoignages la présentent comme une adolescente particulièrement éveillée, curieuse et sensible. C'est ainsi que, par le biais du scoutisme, elle effectue de grandes randonnées à travers le pays et découvre les conditions déplorables de vie de la paysannerie algérienne. L'étalage de l'injustice la révolte profondément. Hassiba Ben Bouali rêvait de devenir infirmière mais elle ne put que s'employer dans un bureau social, où elle complétera sa vision de la situation des Algériens. Sa prise de conscience l'amène à militer dès l'âge de seize ans an sein de l'Union Générale des Etudiants Musulmans Algériens.
Dès lors, elle s'impliquera de plus en plus dans le combat nationaliste, et, vers la fin de l'année 1956, elle intégra avec d'autres jeunes filles un des réseaux des fedayins qui se distinguèrent durant la bataille d'Alger. Elle fit ainsi parties d'un groupe chargé de fabriquer des bombes et de les déposer sur les lieux d'opération. Mais les services de renseignement français finirent par recueillir des informations sur ce groupe. L'atelier clandestin de fabrication des bombes est aussitôt investi tandis que de nombreuses arrestations ont lieu. Hassiba Ben Bouali est alors obligée de quitter son domicile et de rejoindre la Casbah, citadelle de la révolution quadrillée par la soldatesque coloniale. C'est à ce moment que la répression à Alger s'accentua. Les autorités françaises voulaient en finir avec les réseaux urbains du FLN, qui semaient la panique dans les milieux des colons et dont les actions spectaculaires jouissaient d'une grande audience internationale. En février 1957, Larbi Ben M'hidi, chef de la zone autonome d'Alger, avait été arrêté et assassiné.
D'autres arrestations eurent lieu les mois suivants.
Le 8 octobre 1957, Hassiba Ben Bouali se trouvait dans une cache au numéro cinq des la rue des Abderames, en plein coeur de la Casbah, en compagnie d'Ali la Pointe et du petit Omar, âgé de douze ans. A la tombée de la nuit, la maison fut encerclée par les parachutistes français. On somma les trois fedayins de se rendre. Devant leur refus, les soldats français firent sauter la maison. Hassiba Ben Bouali et ses compagnons périrent sons les décombres ainsi que 17 Algériens dont les maisons furent soufflées par l'explosion. Le martyre de Hassiba Ben Bouali devint un motif supplémentaire de la détermination du peuple algérien ainsi qu'une illustration éclatante de la participation de la femme algérienne au combat libérateur.

Affaire de Djamila BOUPACHA : Gisèle Halimi

Avocate au Barreau de Tunis en 1949 puis à celui de Paris en 1956, Gisèle Halimi a participé à la naissance et au développement de nombreux combats. Créatrice du mouvement féministe Choisir la cause des femmes en 1972, elle s’est engagée aux côtés des indépendantistes algériens, dénonçant la torture pratiquée par l’armée française. Guidée par la dénonciation des injustices, elle présida la Commission d’enquête du tribunal Russel sur les crimes de guerres américains au Vietnam en 1967.
Sa vie, sa carrière, ses engagements, elles les a retracés dans de nombreux livres. Tout au long de ceux-ci, Gisèle Halimi raconte des épisodes douloureux de son enfance et de sa jeunesse, d’amères désillusions, notamment lors de son mandat de députée (de 81 à 84) : désillusion de ne pouvoir entreprendre ce pourquoi on a été élue, désillusion devant le machiavélisme de François Mitterrand, désillusion d’être une des rares députées femmes et de se rendre compte combien l’Assemblée nationale, même de gauche, reste un des bastions de la misogynie.
Son parcours s’inscrit dans l’histoire des luttes menées en France dans la deuxième partie du siècle. Inlassable, volontariste, exigeante, sûre d’elle, et désireuse de contrôler ce qui la concerne dans le cadre de cette interview, Gisèle Halimi continue son travail d’avocate et, en animant l’Observatoire de la parité, poursuit son engagement féministe...

Quand j'ai défendu Djamila Boupacha, cela faisait six ans que je défendais des militants du FLN. Avec d'autres avocats, mais nous n'étions pas très nombreux, nous avions instauré un véritable pont aérien entre Paris et l'Algérie, là où il y avait des tribunaux militaires, des tribunaux d'exception. C'était d'autant plus urgent de le faire que sans nous probablement, il n'y aurait pas eu de défense : tous les avocats algériens avaient été plus ou moins arrêtés, déportés, mis dans des camps. Je l'ai fait pendant huit ans de ma vie. J'étais seule, j'avais deux enfants de cinq ans et deux ans, et je n'avais pas les moyens de les faire garder. Mais il y avait une urgence absolue, non seulement pour la cause mais pour ce qui s'y passait. Djamila Boupacha, c'était en 1960. Cela faisait six ans que l'on parlait des tortures. Djamila Boupacha était au secret, torturée et détenue depuis plus de cinq ou six semaines. Militante du FLN, elle avait 21 ans, elle était musulmane, très croyante, elle n'avait pas commis d'attentat mais était sur le point d'en commettre un. Elle allait déposer une bombe, mais elle ne l'a pas fait. Et donc elle a été arrêtée puis abominablement torturée par des parachutistes, jour et nuit. Elle a été violée avec une bouteille d'abord, elle qui était vierge et musulmane ; elle m'écrivait des lettres : "Je ne sers plus à rien, je suis à jeter..." J'ai pris l'avion pour aller la défendre. Son procès avait lieu le lendemain. On m'a donné une autorisation, car il fallait ça, pour y aller. Je suis arrivée à Alger et quand je l'ai vue, j'ai été absolument… enfin comme n'importe qui l'aurait été, bouleversée. Elle avait encore les seins brûlés, pleins de trous de cigarettes, les liens, ici (elle montre ses poignets), tellement forts qu'il y avait des sillons noirs. Elle avait des côtes cassées... Elle ne voulait rien dire, et puis elle a commencé à sangloter et à raconter un petit peu. Je suis rentrée à l'hôtel pour préparer le procès du lendemain et le soir même, la police est venue m'arrêter et m'expulser. Je n'ai donc pas pu plaider le procès. Djamila a refusé de parler. C'est en rentrant que j'ai déclenché un peu les choses, j'ai vu Simone de Beauvoir, on a créé un comité pour Djamila Boupacha qui a été le comité de défense le plus important pendant la guerre d'Algérie, Il comprenait Aragon, Sartre, Geneviève de Gaulle, Germaine Tillion qui a fait énormément pour Djamila (née en 1907, Germaine Tillion a été résistante, arrêtée et déportée à Ravensbrück. Elle a témoigné au procès de Nüremberg. Grande ethnographe, elle a beaucoup travaillé en Algérie). Mais il ne comptait pas que des personnes favorables à l'indépendance algérienne,. Il y avait par exemple Gabriel Marcel, le philosophe existentialiste chrétien, qui était plutôt pour l'Algérie française. Au ministère de la justice, Simone Veil, une petite magistrate déléguée à l'époque, nous a aidés à la faire transférer car on voulait l'abattre, là-bas dans sa cellule, pour qu'elle ne parle pas. On l'a arrachée aux griffes de ses assassins probables, on a fait un grand procès contre les tortures et nous en sommes arrivés aussi loin qu'on pouvait arriver dans une affaire comme celle-ci pendant la guerre, car c'était encore la guerre. Elle a identifié ses bourreaux en les reconnaissant parmi d'autres militaires sur des photos. Quand on a demandé leur nom, le ministre de la Défense, à l'époque M. Messmer a refusé de les donner en disant que ce serait mauvais pour le moral de l'Armée ! Par ailleurs, un mouvement international est né, avec des manifestations devant les ambassades de France à Washington, à Tokyo, partout, pour elle. Là-dessus, les accords d'Evian ont été signés, c'est-à-dire la fin de la guerre, avec une amnistie pour tous ceux qui, de près ou de loin, étaient poursuivis pour des événements en relation avec la guerre d'Algérie. Alors, la chose amusante, c'est que, bien entendu, Djamila a été amnistiée pour ce pourquoi on la poursuivait mais en même temps, moi, j'avais fait inculper le général Ailleret pour forfaiture et pour recel de malfaiteurs, et le ministre de la Défense, Messmer, puisqu'il refusait de nous donner les noms de ces soldats. Ils ont "bénéficié", si je puis dire, de la loi d'amnistie. L'instruction pénale a été close.J'ai aussi écrit un livre. J'ai rendu public tout le dossier d'instruction, ce que je n'avais pas le droit de faire. Il y avait des lettres d'elle et de son père de soixante-dix ans, qu'on avait torturé et qui criait : "Vive la France ! Pourquoi vous me faites ça ?" Sa sœur, qui était enceinte, torturée, qui a fait une fausse couche ! Djamila Boupacha représente un peu symboliquement ce qui est important pour moi : la défense de l'intégrité physique et morale des individus, les droits de l'Homme, la lutte contre la torture, la lutte contre la colonisation. Mais en plus, c'était une jeune fille vierge de vingt ans qui avait été violée abominablement. Elle était un peu devenue le symbole de la lutte contre la torture et de la lutte du peuple algérien. Mais pour moi, si vous voulez, d'avantage, elle était devenue ce pour quoi je m'étais engagée comme avocate depuis toujours.

Djamila Boupacha par le grand Pablo Picasso

Une surprise agréable au Musée national d'art moderne et contemporain d'Alger (Mama) à l'occasion d'une remarquable exposition intitulée «Les peintres internationaux et la révolution algérienne».
La lithographie de Djamila Boupacha par le grand Pablo Picasso. Le dessin a été confectionné la veille du cessez-le-feu (mars 1962) pour sauver de la guillotine Djamila Boupacha. Le dessin au fusain paraît à la une des Lettres françaises du 8 février 1962 et en ouverture du plaidoyer de Simone de Beauvoir et de Gisèle Halimi, publiées chez Gallimard. Une toile qui, aujourd'hui, est cotée aux enchères publiques à hauteur de 400 millions de dollars, au point que son acheminement depuis la cité phocéenne (Marseille) au musée d'Alger s'est faite sous impressionnante escorte.

Au Mama, la toile était vitrée par le système de détecteur à base de température et luminosité. Anti-franquiste et artiste peintre majeur du XXe siècle, l'espagnol Pablo Ruiz Picasso s'était intéressé à l'Algérie au tout début de la révolution de 1954 par toute une série de variations sur les Femmes d'Alger, de Delacroix, lequel exprimait une peinture d'essence coloniale travestissant, de facto, la réelle image de la femme algérienne. Delacroix, artiste du génie militaire et officier des services de renseignements français, peignait, en fait, les prostituées d'une maison close à La Casbah d'Alger. Ce qui a poussé Picasso à rectifier le cours de l'histoire en dénonçant au travers de ses 15 toiles et deux lithographies – qu'il qualifiera lui-même de paraphrases – la souffrance, toute la souffrance des femmes algériennes soumises aux pires gémonies coloniales. Il a voulu, en outre, témoigner à sa manière son soutien indéfectible à l'émancipation du peuple algérien colonisé en donnant à ces femmes une image de combattantes. Simplement en revisitant l'œuvre de Delacroix et en tendant une oreille attentive aux informations diffusées sur son transistor. Sa série s'achève sur une œuvre monumentale qu'était le supplice de Djamila Boupacha en 1962.

Les amis de l’Algérie combattante

Les porteurs de valise
Comment des journalistes, des artistes, des prêtres, des militants catholiques, en sont-ils venus à se faire les complices du FLN.
Lorsqu'éclate la rébellion du 1er novembre 1954, les nationalistes algériens disposent déjà de sérieuses connivences dans l'opinion métropolitaine, ainsi que dans certains milieux européens d'Algérie. En France, à partir de médias anticolonialistes, des journalistes engagés, comme Claude Bourdet, Gilles Martinet, Roger Stéphane de France Observateur, Hervé Bourges et Georges Suffert de Témoignage chrétien, poursuivent un combat entamé contre l’armée française en Indochine. En Algérie, le professeur Mandouze, cofondateur de Témoignage chrétien, le docteur Chaulet, l’abbé Scotto et d'autres religieux ont favorisé le travail d'un couple de professeurs, les Jeanson, qui aboutira à la parution, en 1 955, de l’Algérie hors la loi, pamphlet qui entend prouver la légitimité du FLN.

Frantz Fanon
“La violence qui a présidé à l'arrangement du monde colonial, qui a rythmé inlassablement la destruction des formes sociales indigènes, démoli sans restrictions les systèmes de références de l'économie, les modes d'apparence, d'habillement, sera revendiquée et assumée par le colonisé au moment où, décidant d'être l'histoire en actes, la masse colonisée s'engouffrera dans les villes interdites.”
Frantz Fanon in “Les damnés de la terre”

Maurice Audin
21 juin 1957 : L'assassinat de Maurice Audin par les paras est maquillé en évasion (Algérie)Depuis janvier 1957, la 10ème Division parachutiste commandée par le général Massu a les pouvoirs de police à Alger afin de traquer le terrorisme. Maurice Audin, assistant en mathématiques à la Faculté des Sciences d'Alger, membre du PCA (Parti Communiste algérien, dissous en 1955), est arrêté le 11 juin 1957 vers 23 heures par le capitaine Devis, le lieutenant Erulin et plusieurs parachutistes du 1er RCP (Régiment de Chasseurs Parachutistes

Henri Alleg
De son vrai nom Harry Salem, né à Londres en 1921, est un journaliste franco-algérien et fut le directeur d'Alger Républicain.
En 1940, il s'installa en Algérie. Ial milita au sein du Parti Communiste Algérien. En 1951, il devint directeur du quotidien Alger républicain. Il entra dans la clandestinité en 1955, date d'interdiction de son journal en Algérie. Il continua cependant à transmettre des articles en France dont certains seront publiés par l'Humanité.
Il fut arrêté le 12 juin 1957 par les parachutistes de la 10ème D.P, au domicile de Maurice Audin, son ami, arrêté la veille et qui sera torturé à mort.

Fernand Yveton
Le 11 février 1957, le militant du Parti communiste algérien (PCA), Fernand Yveton, condamné à mort par la justice coloniale française pour avoir rejoint la lutte armée pour l’indépendance de l’Algérie, était guillotiné dans la cour de la prison de Barberousse, à Alger.




Maurice Laban
Né à Biskra où ses parents étaient instituteurs. Il s'engage d'abord dans les Brigades internationales durant la Guerre d'Espagne. Il en revient avec de graves blessures. Membre du Parti communiste algérien (PCA), il rejoint le maquis aux côtés du FLN et sera tué le 5 juin 1956, en même temps que l'aspirant Maillot.




Henri Maillot
Je considère l’Algérie comme ma patrie. Je considère que je dois avoir à son égard les mêmes devoirs que tous ses fils. Au moment où le peuple algérien s’est levé pour libérer son sol national du joug colonialiste, ma place est aux côtés de ceux qui ont engagé le combat libérateur.
La presse colonialiste crie à la trahison, alors qu’elle publie et fait siens les appels séparatistes de Boyer-Bance. Elle criait aussi à la trahison lorsque sous Vichy les officiers français passaient à la Résistance, tandis qu’elle servait Hitler et le fascisme.
En vérité, les traîtres à la France, ce sont ceux qui pour servir leurs intérêts égoïstes dénaturent aux yeux des Algériens le vrai visage de la France et de son peuple aux traditions généreuses, révolutionnaires et anticolonialistes. De plus, tous les hommes de progrès de France et du monde reconnaissent la légitimité et la justesse de nos revendications nationales. Le peuple algérien, longtemps bafoué, humilié, a pris résolument sa place dans le grand mouvement historique de libération des peuples coloniaux qui ambrase l’Afrique et l’Asie. Sa victoire est certaine.
Et il ne s’agit pas comme voudraient le faire croire les gros possédants de ce pays, d’un combat racial, mais d’une lutte d’opprimés sans distinction d’origine, contre leurs oppresseurs et leurs valets sans distinction de race.
Il ne s’agit pas d’un mouvement dirigé contre la France et les Français, ni contre les travailleurs d’origine européenne ou israélite. Ceux-ci ont leur place dans ce pays. Nous ne les confondons pas avec les oppresseurs de notre peuple.
En accomplissant mon geste, en livrant aux combattants algériens des armes dont ils ont besoin pour leur combat libérateur, des armes qui serviront exclusivement contre les forces militaires et policières et les collaborateurs, j’ai conscience d’avoir servi les intérêts de mon pays et de mon peuple, y compris ceux des travailleurs européens momentanément trompés.

Georges Arnaud
En 1957, aux Editions de Minuit, il signe avec l'avocat Jacques Vergès un manifeste, Pour Djamila Bouhired. Cette dernière, combattante du FLN, soupçonnée d'être une poseuse de bombes, est capturée par les paras français. Torturée, jugée et condamnée à mort en juillet 1957, Djamila Bouhired sera défendue par Jacques Vergès, qui obtiendra que sa peine soit commuée (et épousera sa cliente, libérée en 1962). Pour Djamila Bouhired est, avec le livre d'Henri Alleg La Question, l'un des manifestes qui alerteront l'opinion publique sur les mauvais traitements et les tortures infligés par l'armée aux indépendantistes algériens. Georges Arnaud est alors arrêté pour non-dénonciation des participants à une conférence de presse en faveur de l'indépendance de l'Algérie qui s'était déroulée dans un grand hôtel parisien. Il reçoit le soutien de Joseph Kessel, Jean-Paul Sartre, Jacques Prévert, François Maspero, André Frossard et d'autres personnalités. On s'élève à la fois contre la tentative de violation du secret professionnel, dont Arnaud bénéficie en tant que journaliste et, de plus en plus, contre la pratique de la torture en Algérie qui constitue le véritable enjeu de cette affaire. Inaugurant la stratégie dite d'enfermement militant, Georges Arnaud passe deux mois en prison. Il profite du scandale occasionné pour demander non seulement son acquittement mais aussi des excuses de la part de l'armée. Son procès aboutira à une condamnation en sursis à deux années d'emprisonnement. Ce verdict sera in fine annulé par la cour de cassation.
En 1962, Georges Arnaud s'exile en Algérie avec sa famille. Il contribue à la création d'une école de journalisme et au lancement du journal Révolution africaine.
Au début des années 1970, la tuberculose le contraint à plusieurs séjours en France, notamment à Chamonix. À la suite d'une pleurésie, il quitte définitivement l'Algérie en 1974.

Germaine Tillion
Le passé de résistante et de déportée de Germaine Tillion fait oublier qu'elle est aussi une ethnologue, spécialiste de l'Algérie. Elle a passé peu de temps avant la guerre plusieurs années dans les Aurès, une région reculée d'Algérie. C'est le récit de sa vie d'ethnologue qui est relaté dans cet ouvrage. Elle étudie la population nomade, ses rites, son imaginaire, sa vie sociale. Elle décrit également le petit monde des fonctionnaires coloniaux.

Maurice Tarik Maschino
Algérien malgré tout !
Maurice Tarik Maschino, militant de l’indépendance de l’Algérie, ancien professeur de philosophie à Alger et journaliste à la radio, consacre à cette Algérie, à laquelle il est profondément attaché, un livre de mémoires et de souvenirs...

AIMÉ CÉSAIRE, DISCOURS sur le COLONIALISME, en 1955

Extrait:

« Il faudrait d'abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l'abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que,chaque fois qu'il y a au Vietnam une tête coupée et un oeil crevé etqu'en France on accepte, une fillette violée et qu'en France onaccepte, un Malgache supplicié et qu'en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s'opère, une gangrène qui s'installe, un foyerd'infection qui s'étend et qu'au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées. de tous ces prisonniers ficelés et interrogés, de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l'Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l'ensauvagement du continent. [...]J'ai relevé dans l'histoire des expéditions coloniales quelques traits que j'ai cités ailleurs tout à loisir. Cela n'a pas eu l'heur de plaire à tout le monde. Il paraît que c'est tirer de vieux squelettes du placard. Voire ! Etait-il inutile de citer le colonel de Montagnac, un des conquérants de l'Algérie :" Pour chasser les idées qui m'assiègent quelquefois, je fais couper des têtes, non pas des têtes d'artichauts, mais bien des têtes d'hommes. "Convenait-il de refuser la parole au comte d'Herisson :"Il est vrai que nous rapportons un plein barils d'oreilles récoltées, paire à paire, sur les prisonniers, amis ou ennemis. "Fallait-il refuser à Saint-Arnaud le droit de faire sa profession de foi barbare :"On ravage, on brûle, on pille, on détruit les maisons et les arbres. "Fallait-il empêcher le maréchal Bugeaud de systématiser tout cela dans une théorie audacieuse et de se revendiquer des grands ancêtres : "Il faut une grande invasion en Afrique qui ressemble à ce que faisaient les Francs, à ce que faisaient les Goths. "Fallait-il enfin rejeter dans les ténèbres de l'oubli le fait d'armes mémorable du com­mandant Gérard et se taire sur la prise d'Ambike, uneville qui, à vrai dire, n'avait jamais songé à se défendre : "Les tirailleurs n'avaient ordre de tuer que les hommes, mais on ne les retint pas ; enivrés de l'odeur du sang, ils n'épargnèrent pas une femme, pas un enfant... A la fin de l'après-midi, sous l'action de la chaleur, un petit brouillard s'éleva : c'était le sang des cinq mille victimes, l'ombre de la ville, qui s'évaporait au soleil couchant. "Oui ou non, ces faits sont-ils vrais ? Et les voluptés sadiques, les innommables jouissan­ces qui vous friselisent la carcasse de Lotiquand il tient au bout de sa lorgnette d'officier un bon massacre d'Annamites ? Vrai ou pas vrai ? [2] Et si ces faits sont vrais,comme il n'est au pouvoir de personne de le nier, dira-­t-on, pour les minimiser, que ces cadavres ne prouvent rien ?Pour ma part, si j'ai rappelé quelques détails de ces hideuses boucheries, ce n'est point par délectation morose, c'est parce que je pense que ces têtes d'hommes, ces récoltes d'oreilles, ces maisons brûlées. ces invasions gothiques, ce sang qui fume, ces villes qui s'évaporent au tranchant du glaive, on ne s'en débarrassera pas à si bon compte. Ils prouvent que la colonisation, je le répète,déshumanise l'homme même le plus civilisé ; que l'action coloniale, l'entreprise coloniale, la conquête coloniale, fondée sur le mépris de l'homme indigène et justifiée par ce mé­pris, tend inévitablement à modifier celui qui l'entreprend ; que le colonisateur, qui, pour se donner bonne conscience, s'habitue à voir dans l'autre la bête, s'entraîne à le traiter en bête, tend objectivement à se transformer lui-­même en bête. C'est cette action, ce choc en retour de la colonisation qu'il importait de signaler. »
[1] Aimé Césaire a été maire de Fort de France (1945 - 2001) et député de la Martinique (1945 - 1993) ; il a obtenu la départementalisation de la Martinique en 1946.
[2] Il s'agit du récit de la prise de Thouan-An paru dans le Figaroen septembre 1883 et cité dans le livre de N. Serban : Loti, sa vie,son oeuvre. « Alors la grande tuerie avait commencé. On avait fait des feux de salve-­deux ! et c'était plaisir de voir ces gerbes de balles, si facilement dirigeables, s'abattre sur eux deux fois par minute, au commandement d'une manière méthodique et sûre... On envoyait d'absolument fous, qui se rele­vaient pris d'un vertige decourir ...Ils faisaient un zigzag et tout de travers cette course dela mort, se retroussant jusqu'aux reins d'une manière comique... etpuis on s'amusait à compter les morts, etc. »